Depuis 2015, les témoignages recueillis par l’Observatoire et défense des droits des usagers (Oddu-Paca) mettent des mots sur les discriminations dont sont victimes les personnes atteintes de pathologies mentales et les consommateurs de substances psychoactives, notamment dans le système de soins. Comme Anna, qui s’est sentie « complètement dépossédée » de son enfant peu après l’accouchement.
« Pendant ma grossesse, le médecin savait que j’étais sous traitement (Subutex®), et j’avais prévenu l’hôpital des difficultés pour me perfuser. Ils avaient prévu de me perfuser dans la jugulaire pour que ce soit rapide. Donc l’accouchement a été super, le personnel était super gentil avec moi, on ne m’a pas du tout jugée ou quoi.
Ça a viré au cauchemar
Les choses ont commencé à mal se passer quand je suis arrivée en néonatalogie, pour le fameux sevrage (que peut induire le traitement de substitution de la mère chez un nouveau-né, ndlr). La première semaine, le bébé n’a eu aucun syndrome de sevrage, donc ils nous ont laissé sortir. Une fois à la maison, il m’a fait une grosse crise de manque alors j’y suis retournée deux jours plus tard. Et à partir de là, ça a viré au cauchemar. Ils m’ont interdit de le sortir du service, et m’ont envoyé une assistance sociale qui a demandé un Ordre de placement provisoire (OPP) sur mes deux enfants, avec une enquête sociale, sans aucune raison. Les gestes que j’avais n’étaient soi-disant pas affectueux. Je suis donc restée un mois hospitalisée avec le petit et ensuite, ils m’ont gardée deux semaines supplémentaires en m’interdisant de m’en occuper. L’enquête sociale m’a finalement donné raison et ils m’ont rendu le petit. Mais de mon accouchement jusqu’à ce que je sorte, ça a été un enfer pendant un mois et demi, peur qu’on me prenne mon grand, peur qu’on me prenne mon petit, rabaissée, humiliée, ça a été vraiment, vraiment horrible.
Je ne pouvais rien faire, même pas lui donner son bain, je ne pouvais pas le mettre au sein quand je voulais, je devais attendre leur permission. Et ils lui donnaient le biberon et la tétine derrière mon dos alors que je ne voulais pas. De toute façon, depuis qu’il est né, cet enfant n’était pas le mien. Dès le départ, ils m’en ont complètement dépossédée.
Ça revient toujours sur le tapis
Je voulais allaiter mes enfants, mais quand tu es sous Subutex®, ils font tout pour t’en empêcher. Pourtant, je m’étais renseignée, je savais très bien que c’était bien d’allaiter pour le sevrage, ça aidait.
Mais vous aurez beau leur dire que justement, ça passe dans le lait et ça aide au sevrage, les puéricultrices pensent mieux savoir, « non, ce n’est pas bon parce que vous lui donnez le traitement ». Il n’y a rien à faire, elles ne vous croiront pas.
Je sais qu’il y a des femmes sous traitement qui accouchent et à qui on n’enlève pas leur enfant. Ça fait dix ans que je n’ai pas touché à la drogue, je leur ai déjà prouvé en allant dans un centre, avec des analyses d’urines tous les mois pendant un an. Mais ça revient toujours sur le tapis. On vous suit.
Je suis intimement persuadée que si je n’avais pas été sous traitement, tout ça ne me serait jamais arrivé. Je n’aurais pas été en néonatalogie, je n’aurais pas été signalée, et je n’aurais pas eu tous ces problèmes. J’en suis persuadée. »
Isabelle Célérier